dimanche 8 octobre 2006

LE CINEMATOGRAPHE DU PETIT SAUVAGE : "A SCANNER DARKLY"

« A Scanner Darkly », c’est d’abord l’adaptation réputée impossible du roman de Philip K. Dick, « Substance Mort ».

Le titre original du roman est d’ailleurs « A Scanner Darkly », et peut se lire comme une référence à un passage de la Première Lettre de Saint Paul aux Corinthiens : « for now we see through a glass, darkly ». ("Aujourd’hui nous voyons à travers un miroir, obscurément, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu.")


Bob Arctor est Fred, et Fred est Bob Arctor : un policier membre de la brigade des stupéfiants, infiltré (ou presque) dans un milieu de toxicomanes, et menant deux vies à la fois.
Il vit avec deux autres hommes totalement déphasés par rapport à la réalité, Luckman et Barris. Donna, son amie, est dealeuse et consommatrice. Il sont tous, excepté Donna, accro à la Substance M, une drogue qui mine peu à peu votre identité pour finir par faire de vous une larve.

Pour Fred, ce sera le début de la fin quand ses supérieurs lui demanderont de surveiller Bob Arctor, dont ils ignorent la véritable identité (tous les flics portant des « complets brouillés » qui les rendent incognitos). Comment enquêter sur soi sans finir par ne pas devenir totalement schizophrène?


Pour traduire la réalité brouillée de ce roman, et les effets de la terrible Substance M sur les capacités sensorielles des accros, le réalisateur Richard Linklater a développé et mis au point, avec le graphiste Bob Sabinston, une technique d’animation inédite : toutes les séquences sont d’abord tournées en images réelles puis chaque image est colorisée à la manière d’un dessin animé 2 D. Le rendu à l’écran est un curieux écart entre « réalité » et « abstraction » et donne un sentiment de réalisme flottant, mou, flou, qui correspondrait bien à l’état d’un junkie sous Substance M.

L’expérience visuelle vaut le détour, et vaut bien aussi une séance de cinéma pour profiter pleinement de ce traitement inédit de l’image.

Quand on rajoute une histoire prenante, bien menée, des dialogues parfois drôles, acides, et toujours intelligents, et des acteurs inspirés (Keanu Reeves, Winona Ryder, Robert Downey Jr, Woody Harrelson, etc.) on ne peut que sortir satisfait de cette expérience cinématographique unique, qui nous propose un voyage incertain dans un futur toxicomane.

Cette histoire, Dick la dédicace donc à ses anciens amis toxicomanes, morts ou gardant de cette expérience de la drogue des séquelles à vie. Il s'agit donc de son œuvre la plus personnelle, la plus dure, la plus engagée, qui met en scène une Amérique peut-être pas si lointaine. Une Amérique où tout est sécurisé et contrôlé par les autorités, mais où la drogue règne en maîtresse. Parce que contrairement aux autres drogues, la substance M est bon marché… Mais ses effets sont bien plus désastreux que les autres.

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