vendredi 5 janvier 2007

LA PLUME DU PETIT SAUVAGE - NOUVELLE - "SEPT"

Tu ouvres tes yeux engourdis. Tu ne sais plus où tu es. Tu jettes un œil furtif sur les diodes rouges du radio-réveil. Il est sept heures du matin.

Sept heures du matin. Et tu es en 2007. C’est le 1er janvier. Et tu as une sacrée gueule de bois.

2007. Quelle année en perspective ! Le sept n’est-il pas le chiffre des chiffres ? Celui de tous les sens révélés ou cachés, de toutes les légendes, de toutes les croyances, de toutes les superstitions ?

Les sept péchés capitaux, par exemple. Avarice, colère, envie, luxure, gourmandise, orgueil, paresse. T’es-tu déjà demandé si, durant une de tes trente dernières années (car tu as 30 ans), durant une seule de ces années, tu avais veillé à ne pas appliquer la liste complète de ces péchés ? As-tu passé une seule année sans tous les commettre au moins une fois ? Durant chacune de ces années, tu as été une fois, au moins, avare, colérique, envieux, gourmand, orgueilleux ou paresseux. Sans parler de ta propension à te prélasser dans la luxure la plus parfaite et la plus délicieuse.

Tu t’arraches une seconde à tes pensées pour te retourner et poser des yeux bienveillants sur les deux pieds qui ne sont pas les tiens, et qui pointent leurs fins orteils sous le drap blanc. Ton cœur sursaute une première fois au souvenir de ces chevilles fines aux veines claires et diaphanes. Tu aimes la courbe douce de leur plante et la rude finesse de leurs talons.

Tu penses aux sept vertus. A l’image des sept péchés capitaux, définis par les lois bibliques, il existe sept vertus, moins connues, mais toutes aussi symboliques, et sensées être le pendant des sept transgressions divines. Amour, espérance, foi, courage, justice, prudence, sagesse. T’es-tu déjà demandé si, durant une de tes trente dernières années, durant une seule de ces années, tu avais veillé à développer en toi au moins une de ces vertus ? As-tu passé une seule année en tendant vers l’une d’elle ? Durant chacune de ces années, tu as été une fois, au moins, aimant, espérant, croyant, courageux, juste, prudent, sage ? Oui, tu peux parler de ta propension à te prélasser dans l’amour le plus parfait et le plus délicieux.

Ton regard vagabonde maintenant le long des deux mollets, fins et légers comme une gourmandise soufflée. Ton cœur sursaute une seconde fois au souvenir de leur toucher. Ils sont souples et doux comme un fruit, un fruit rare et acidulé, un de ces fruits qui viennent de loin, un fruit des tables de fête. Tu aimes perdre ta main dans la commissure chaude de ses genoux.

Tu laisses ton esprit vagabonder sur les sens cachés ou révélés du chiffre sept. Ils sont nombreux, les sept célèbres. Les sept Sages de la Grèce Antique (Bias, Chilon, Cléobule, Mison, Pittacus, Solon d'Athènes, Thalès de Milet), les sept patriarches de la Bible (Aaron, Abraham, David, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse), et même les sept nains de Blanche Neige (Atchoum, Dormeur, Grincheux, Joyeux, Prof, Simplet, Timide) ! Mythologies, religions, ou contes de fées, les histoires et paraboles font souvent écho à ce chiffre mystique. Les sept jours de la semaine… Les sept collines de Rome… Les bottes de sept lieues… Les sept arts, dont le magique septième, le cinéma… Les sept couleurs de l’arc-en-ciel… Les sept mers (l'Atlantique, le Pacifique, les océans Arctique et Antarctique, l'océan Indien, la Méditerranée et la Mer rouge) … Les sept continents (Afrique, Amérique, Asie, Europe, Océanie, Antarctique, Arctique) … Les sept notes de musiques… Oui, tu n’en doutes pas, malgré les sept alcools que tu as mélangés hier (Bière, Vin, Champagne, Rhum, Whisky, Vodka, Martini), 2007 sera une année insensée.

Tu regardes l’heure. Il est sept heures sept. Tu voudrais la réveiller et lui dire des choses insensées. Tu voudrais lui parler de mille rêves et de mille volontés. Mais tu te rappelles qu’il faut parfois tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Tu aimerais alors dessiner le long d’un grand mur blanc, comme ceux des petits villages écrasés sous le soleil méditerranéen, près de Sète, les milliers de mots et d’idées qui déferlent sur ton esprit étourdi de savoir qu’elle existe au delà d’un rêve et qu’elle reste de temps en temps dans ta réalité.

Mais tu ne la réveilles pas. Tu la regardes. Privilège secret.

Tu frôles des yeux le bas de son ventre. Tu es dans le secret de ses hanches. Là se cache le secret du monde. Là se cache le sens. Quand tu as une question, un doute, une hésitation, tu vas chercher la réponse dans le secret de ses hanches. Ici, tout est limpide, beau, et étourdissant. Les mystères s’estompent, les doutes s’effacent, les peurs se meurent et les pleurs se taisent. Seul reste la mélodie douce ou effrénée de ses mouvements qui t’arrache à la réalité blafarde. Ton cœur sursaute une troisième fois au souvenir de tout cela. Tu aimes y puiser plaisir intense et belle sérénité.


Tu penses naturellement aux merveilles du monde. Elle en est une peut-être. Il n’y en a donc pas que sept. Philo de Byzance, l’Alexandrin qui définît cette liste d’exemples de la perfection créatrice dont l’Homme fait parfois preuve, ne semblait donc pas être au courant de tout. Mais il vivait au troisième siècle, ce qui explique peut-être ce manque cruel à cet inventaire. Le Colosse de Rhodes, bronze immense de 36 mètres de haut, représentant le dieu Apollon et dominant l'entrée du port de Rhodes (en mer Égée) ; Les Jardins suspendus de Babylone, cadeau du Roi Nabuchodonosor II pour sa femme, une princesse des montagnes perse à la beauté sublime ; Le Mausolée d'Halicarnasse, sépulcre merveilleux commandé par la reine Artémise II en mémoire de son mari, le roi Mausole de Carie (et qui donna le nom « mausolée ») ; Le Phare d'Alexandrie, haut de 122 mètres, et posé sur l'île de Pharos, reliée par une digue au port d'Alexandrie ; Les Grandes Pyramides d'Égypte, la plus ancienne des merveilles et la seule encore visible ; La Statue de Zeus à Olympie, toute d’ivoire et d’or, haute de 12 mètres, qui marquait le site des premiers Jeux Olympiques ; Le Temple d'Artémis, la déesse de la Lune et de la Chasse à Éphèse…

D’autres merveilles sont venues se rajouter depuis à cette liste, comme le majestueux Taj Mahal, encore une ultime preuve d’amour d’un Maharajah à sa Princesse défunte… Et tu sais que chacun, dans un coin de son âme rajoute des lieux, des personnes, ou des souvenirs à cette liste de merveilles.

Dans les merveilles de ton monde, qui se résume en ce premier matin de l’année 2007 à un petit lit dans une chambre d’amis plongée dans la pénombre, tu admires son nombril, posé comme un puits au cœur de la plaine calme de son ventre. A la manière d’un vent léger soufflant dans un champ d’épis, tu remarques le mouvement donné à cette plaine par sa respiration apaisée. Ton cœur sursaute une quatrième fois au souvenir de ce souffle régulier. Tu aimes dessiner des cartes aux trésors qui mènent toutes à ce nombril.

Le nombril serait le trou par lequel les anges soufflent pour te donner ton âme, et ainsi t’insuffler la vie. Dans le même temps, les mêmes anges posent un doigt au dessus de ta lèvre supérieure, comme pour te rappeler de ne jamais parler de tout ce que tu as vu avant de venir au monde. C’est ainsi que nous avons tous un nombril sur le bas ventre et une petite marque d’index posé entre la lèvre supérieure et le nez. Ce sont les marques des anges. Les anges, ceux qui se tiennent toujours à côté de Dieu dans les croyances chrétiennes, sont au nombre de sept. Zachariel, Gabriel, Jéhudiel, Michel, Raphaël, Samael, Uriel.

Ce doit être un ange, penses-tu en souriant.

Tu te dis qu’il vaudrait mieux arrêter ces folies cérébrales, tu devrais redescendre sur Terre, elle est là, à côté de toi, elle dort profondément, elle est terriblement réelle, et tu parles d’elle comme d’une merveille, comme d’un ange, comme de la clé des secrets du monde. Si elle savait cela, elle te prendrait pour un fou, et elle déguerpirait aussitôt. Heureusement elle ne le saura jamais, tu garderas cela bien pour toi, tu te contenteras des compliments d’usage, sincères mais bien frêles par rapport à la réalité de ton opinion. Tu lui diras d’un air détaché que tu la trouves belle ce soir, ou que tu as envie d’elle, tu lui diras qu’elle est sexy, que tu aimes autant son « sex appeal » que son « spirit appeal ». Tu ne lui diras jamais la vérité, ce qu’elle est vraiment, une merveille, un ange, la clé des secrets du monde, bref, une femme, la femme, celle pour qui ton cœur bat au rythme fort et régulier de milliers de tambours amoureux.

Dans une indécence qui la ferait rougir, et qu’elle ignore, perdue dans ses rêves, elle offre à ton regard pétillant deux dunes de soie nacrée, qui dominent la plaine du nombril. Au cœur de ces dunes une vallée qui mène au cou, nid de mille parfums. Lors de grandes expéditions, tu aimes parcourir plaine, dunes et vallée, pour y voler d’infimes et intimes effluves. Ton cœur sursaute une cinquième fois à ces souvenirs volatiles. Tu aimes l’éphémère alchimie de ces instants partagés.

L’alchimie, cette science légendaire et inconnue, qui permettait de créer l’or et la fameuse pierre philosophale, qui procure à son détenteur la vie éternelle. L’alchimie, dont la recette sacrée se base sur sept métaux, formés sous l'influence des planètes, auxquels les alchimistes attribuaient une divinité et une couleur fondamentale : l’argent, le cuivre, l’ étain, le fer, le mercure, l’or, le plomb.

Tous ces métaux précieux, qui, une fois mélangés, donnent l’or et la pierre philosophale, doivent être cachés dans ses yeux, qui se reposent sous le fin rideau de ses paupières. Là, sous le rideau, le théâtre de son regard fait relâche jusqu’à ce qu’elle se réveille. Alors mille rires, mille mélancolies, mille espoirs, mille regrets et mille envies se produiront devant vos yeux ébahis. C’est le grand théâtre de la vie, dont les échos se lisent dans les reflets de ses yeux noisette. Ton cœur sursaute une sixième fois à ce souvenir beau comme un kaléidoscope. Tu aimes croiser son regard.

Tu regardes les diodes rouges du radio réveil. Il est sept heures vingt sept. Tes paupières un peu lourdes te pressent à te rendormir. Ta tête est lourde aussi, de vapeurs d’alcool. Elle dort toujours, doucement, à côté de toi.

Tu hésites entre sommeil et conscience. Tes pensées se mélangent, les hémisphères de ton cerveau se croisent et s’entrecroisent, tu aimes ce moment suspendu, où tu n’es pas tout à fait éveillé et pas tout à fait endormi, égaré dans un curieux maelström de pensées. Mille hasards cérébraux t’amènent à des associations d’idées surprenantes. Tu revois son regard, la première fois où tu allais l’embrasser. Tu te souviens de cette seconde éternelle, qui restera avec toi jusqu’à ton dernier souffle, et qui peut-être même te survivra, cette seconde où tout a basculé, cette seconde et ce millimètre, le dernier et le plus difficile à parcourir, et ta tête qui tournait tellement ton cœur battait vite.

Le hasard n’existe pas. Toutes les faces opposées d’un dé, une fois additionnées, donnent sept.

Le nombre des cieux, dans la tradition islamique, est de sept. D’où le fameux septième ciel, qui est le Paradis…


Sept est aussi le nombre de shakras dans l’hindouisme. Et le nombre de principes de base du Bushidô, le code des principes moraux que les chevaliers japonais samouraïs étaient tenus d’observer.

Oui, 2007 sera une belle année.

Tu perds ta main dans ses cheveux courts et fins. Elle se réveille enfin. Ton cœur sursaute une septième fois. Et tu l’embrasses, heureux de son existence.