vendredi 23 juin 2006

LA PLUME DU PETIT SAUVAGE - NOUVELLE : "COUP DE FOUDRE"


Thomas était plutôt du genre rêveur. Il avait toujours été persuadé que sa vie se règlerait à grands coups de théâtre et de rencontres inattendues.

Ainsi, par exemple, il avait toujours espéré qu’il rencontrerait la femme de sa vie d’une manière absolument fortuite et instantanée. Il la reconnaîtrait, c’est sûr, au premier regard.

Il croyait au coup de foudre absolu, celui qui changerait toute sa destinée, celui qui révèlerait à ses yeux de grand enfant le chemin qu’il lui faudrait prendre.

Il vivait à Genève, et ce jour-là, il profita d’un moment de répit entre deux rendez-vous professionnels, pour se faufiler au « Quartier de Lune », un petit café au décor chatoyant et tamisé, parfait pour un moment de détente.

Au moment où il passa la porte, son cœur s’arrêta. Il le sentit parfaitement se stopper. Plus de battement, plus de rythme vital, l’espace de quelques infimes instants. Son souffle coupé, il tentait tant bien que mal de concentrer son regard vers celle qu’il venait d’apercevoir.

Sous l’effet du choc, il s’affaissa un peu, si bien qu’un serveur vint à sa rescousse. Thomas prétexta une rude journée, et rassura le garçon affable en lui confirmant qu’un bon café bien noir le remettrait d’aplomb.

Alors, il s’assit et la regarda.

Elle était comme en suspension dans l’univers terrien qui l’entourait. Elle semblait être un mirage, chaque geste, chaque mouvement, chaque déplacement faisait comme une volute de grâce et de d’irréalité autour de son corps dessiné uniquement d’ellipses harmonieuses.

Comme une comète dans une nuit sans étoile, elle rayonnait et filait dans le quotidien soudain blafard du « Quartier de Lune ». Elle parlait un peu fort, sa voix était limpide et joyeuse, et chacune de ses attitudes baignait dans une énergie communicative et étourdissante.

Il l’appela. « Mademoiselle… »

Elle s’approcha de lui, et sa main frôla son épaule. Une brève décharge d’électricité statique courut le long de l’échine de Thomas.

« Oui ? Je peux vous aider ? Il vous manque quelque chose ? »

Il ne lui manquait rien. Sucre, crème, petite amande chocolatée, cuiller, verre d’eau, note, cendrier. Tout était là.

« Vous. »
« Pardon ? »
« Il me manque vous. »
« Pardon ? »

Il respira un grand coup.

« Je veux dire… Vous me manquez tellement… »
« Mais… On se connaît ? »
« Euh… oui, non, enfin, je ne crois pas. Mais… je crois … je crois que je n’ai pas besoin de vous connaître pour … pour pouvoir vous reconnaître »

Alors elle éclata de rire. Et il devint rouge de gêne. Elle devait penser que c’était encore un énième plan drague, et elle allait le jeter sans ménagement.

« Vous, vous n’êtes pas très clair dans votre tête. Je vous ai déjà vu arriver tout chancelant tout à l’heure. Buvez votre café, je repasse après. Ca ira sans doute mieux ».

Il but son café et décida de partir. Il avait eu son quota de ridicule pour la journée. Il avait tourné de la tête comme une midinette et abordé cette inconnue comme le grand maladroit qu’il ne manquait jamais d’être. Et puis franchement, à trente ans, doit-on encore rêver du coup de foudre ? Il savait bien qu’à chaque fois, ce genre de rencontres était voué à l’échec. On ne vit bien avec quelqu’un qu’en ayant appris à le connaître. Ben oui.

Au moment de quitter le « Quartier de Lune », il l’entendit l’appeler.

« Tenez. Vous m’avez reconnue, peut-être, mais ce qui est sûr, c’est que vous ne me connaissez pas. Appelez moi pour combler vos lacunes. »

Elle lui tendit un sous verre sur lequel était griffonné son numéro et un prénom : Dorilys.

Au loin, l’orage grondait.

Il rentra chez lui, et tritura le sous verre pendant des heures. Devait-il l’appeler ? Qu’allait-il lui dire ? Etait-il sûr ?

Et puis ce prénom bizarre, Dorilys, l’intriguait beaucoup… D’où était-ce ? Il chercha sur Internet, et ne trouva qu’une explication farfelue, au sujet d’un personnage de roman, qui aurait la particularité de contrôler la foudre, et les orages.

Il se décida à composer le numéro. Mais personne ne répondit. Il y avait juste une sorte de grésillement au bout de la ligne. Comme un jour d’orage. Il allait reposer le combiné quand une violente décharge électrique lui secoua le bras, au moment où une boule de foudre sortit de l’appareil pour virevolter dans toute la pièce.

Thomas se plaqua au sol, et couvrit sa tête de ses bras. La foudre s’échappa par la fenêtre heureusement ouverte et le laissa terrifié.

Terrifié parce que le ciel, à sa fenêtre, était serein et calme, et qu’il n’y avait pas d’orage aux alentours. Mais bon, parfois, cela peut arriver…

Le numéro devait être faux. Il décida de retourner au « Quartier de Lune » le lendemain.

Mais Dorylis n’était pas là. Il demanda au barman si elle allait venir aujourd’hui, et celui-ci lui répondit qu’il ne connaissait pas de Dorylis. Il héla le patron, qui lui répondit la même chose. Thomas s’agita, expliqua qu’il était venu hier, mais si ils devaient bien se souvenir de lui, et qu’hier, Dorylis travaillait bien au « Quartier de Lune ».

Hélas, personne ne se souvenait de sa venue la veille, et personne ne connaissait une fille prénommée Dorylis. D’ailleurs, ici, il n’y avait que des mecs qui bossaient.

Thomas sortit l’air un peu hébété et marcha en direction du lac Léman. Le ciel était bas et lourd, les nuages électriques vrombissaient sournoisement. Thomas savait qu’il devait vite rentrer s’il ne voulait pas se retrouver sous une dense averse orageuse, mais il n’en avait que faire.

Il était concentré, et se demandait bien ce qui avait pu se passer hier. Avait-il rêvé de tout cela ? Mais comment avait-il pu rêver du « Quartier de Lune » s’il n’y avait jamais mis les pieds ?

Le tonnerre l’arracha à ses pensées. Un grondement vif, sourd, profond comme une voix de ténor céleste.

La pluie se mit à couler le long de ses cheveux bouclés et vint dessiner sur son visage des larmes qu’il ne pleurait pas.

Il la vit, assise sur le rebord du Quai du Mont-Blanc.

Elle était là, irréelle, légère et belle. Elle souriait malgré la pluie et l’orage. Elle semblait dans son élément au milieu des nuages déchaînés.

Il s’approcha, et elle lui tendit la main. Il la saisit et le tonnerre gronda.

« Tu n’as pas froid ? »

Elle avait une légère robe noire, qui laissait ses jambes nues. Ses cheveux trempés collaient à son visage d’ange.
« Non. J’aime les orages. Ils sont puissants et imprévisibles. Ils sont, au choix, la vie, de par leur pluie, ou la mort, de par leur foudre. J’aime leur ambivalence.»

« Je… j’ai essayé de t’appeler…je suis aussi repassé au « Quart… »
« Ne pose pas de questions. »

Et elle l’embrassa.

Les gouttes de pluies suspendues à ses lèvres se partagèrent aux siennes. Il l’enlaça, elle n’était pas bien grande, sa tête était doucement posée sous le menton de Thomas, qui respirait l’air pur et parfumé de ses cheveux bruns.

« Il ne faut pas m’aimer, Thomas »

Il la regarda, interrogatif. La pluie avait redoublé. Elle s’écarta de lui, et partit. Il voulut la rattraper.

« Non. Il ne faut pas m’aimer ! »

Elle disparut au coin d’une rue.

Il resta dehors, pantois. La pluie venait de cesser. Ses larmes vinrent dessiner sur son visage les gouttes qui ne tombaient plus.

Il rentra chez lui.

Deux jours passèrent sans qu’il mette une seule fois le nez dehors.

Le soir du deuxième jour, l’air était encore lourd sur la ville.

Le tonnerre murmurait au loin.

On sonna à sa porte. Il alla ouvrir. C’était Dorylis. Il commençait à pleuvoir dehors.

« Mais… mon adresse ? Comment… »
« Ne pose pas de questions. »

Elle se blottit dans ses bras.

« Tu m’aimes ? »

L’orage se rapprochait.

« Oui »

Première déflagration énorme, vibrante, saisissante.
Elle enleva ses chaussures, et se déshabilla.

Elle était belle nue. Satinée et chavirante.

Elle le poussa doucement sur le canapé noir du salon, et le déshabilla.

« Il ne faut pas m’aimer » lui dit-elle

Elle s’assit sur lui, le regarda dans les yeux. Ses cheveux tombaient doucement sur son torse.

« Il ne faut pas m’aimer »

Dehors, l’orage était là. La pluie battait les carreaux, et les éclairs illuminaient le ciel en mille spasmes photographiques.

Une fenêtre se brisa tandis que leurs corps se fondaient.

Un éclair jaillit dans le salon, libérant une boule de foudre qui enflamma tout dans sa course folle.

L’incendie se propagea bientôt à tout l’appartement, et l’engloutit comme un ogre de flammes.

Les pompiers, bientôt sur place, ne trouvèrent que des débris carbonisés, et un cadavre.

Thomas gisait sur son canapé, le corps nu et calciné. Seuls ses yeux n’avaient pas brûlés. Des larmes en coulaient encore tandis qu’au « Quartier de Lune », Dorylis servait des cafés à des hommes qui soupiraient.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

il est particulièrement beau.. c'est un poème ou une nouvelle? vraiment je suis subjuguée! bravo!

Anonyme a dit…

Shebang..... "Il ne faut pas m'aimer Thomas", il faut rester....

La fille avec des eclairs au bout des doigts te remercie pour cette histoire qui touche son coeur sensible de Douce. Muse c'est encore ce que je fais de mieux..... enfin de là être Attila... je ne veux pas que tu te consumes Mon Thom... jamais ...mais je veux que tu sois là ...toujours

Mille Baisers Electriques

Anonyme a dit…

Vraiment superbe! Je retruove là la plume de le Zubial et le coeur de celui à qui j'écris et de qui j'admire les écrits...

Mes partiels sont finis, je promets de te réécrire très vite, notre correspondance me manque!

Douces pensées.