lundi 20 mars 2006

LE CINEMATOGRAPHE DU PETIT SAUVAGE - "A TOMBEAU OUVERT" : BAD TRIPES


Frank sillonne tous les soirs, au volant de son ambulance, l'un des quartiers les plus chauds de New York, Hell’s Kitchen, sur l’île de Manhattan. Il opère dans l'urgence, hanté par toutes les vies qu'il n'a pas pu sauver, qui sont devenues autant de fantômes à ses trousses. Rose, en particulier, une SDF de 18 ans, qu’il n’a pas pu sauver, est dans ses yeux à chaque visage qu’il croise.



Frank, c’est Nicolas Cage, immense dans son rôle d’ambulancier au bout du rouleau, à deux doigts de la rupture complète. Secondé par des coéquipiers excellemment bien croqués (Larry (John Goodman), Marcus (Ving Rhames), Tom (Tom Sizemore)), il fonce dans les rues de New York, plein d’alcool, de drogue, pour oublier à quel point tout cela est laid.

Les junkies défoncés, les clochards ivres, les femmes battues, les arrêts cardiaques, toutes ces détresses, toute la lie pourrie de notre monde vit et meurt entre les mains de Frank.

Faut-il être solide ou maso pour supporter cela ?

C’est peut-être une des questions de Martin Scorsese qui, en signant son film, revient à ses premiers amours : les rues de New York, déjà théâtre de ses tragédies dans « Taxi Driver », dans « After Hours », et, plus tard, dans « Gangs Of New York ».

Scorsese pose des questions en dressant un portrait pas brillant de notre société, en suivant de près ces multiples victimes, et les pauvres âmes qui sont censées les sauver.

Mais, au-delà de tout cela, Scorsese, encore une fois, réussit un époustouflant exercice de style.
C’est beau une ville, la nuit, mais si elle dégouline de drogues, de cadavres, et de malheurs.

Grâce à une inventivité visuelle présente dans chaque plan, le réalisateur affûte encore plus son trip nocturne dans les rues new-yorkaises. Le spectateur est assailli de couleurs, de nuit, de néons, de phares, de furie, de bruit, de visages, d’une énergie visuelle parfois saturée, mais en phase avec le sujet traité, et soutenue par une bande son ébouriffante (notamment le morceau d’ouverture, « TB SHEETS » par Van Morisson, 10 minutes de blues tripé).

Un film à voir, donc, pour vivre une expérience forte et engagée.



Adapté du livre « Ressusciter les Morts » (« Bringing out the Dead », qui est aussi le titre original du film), de Joe Connelly, ce film peut avoir le même message que le bouquin, défini de la manière suivante par Connely : «Je n'ai pas voulu faire le portrait type d'un ambulancier, mais montrer un homme désarmé face à la souffrance des autres ? Un homme qui ressent intensément la détresse d'autrui. Les partenaires de Frank se révèlent aussi vulnérables que lui, tous suintent de douleur, que ce soit Marcus le fataliste, ou Tom Walls, avec ses rêves tordus et son sens exacerbé de la justice. »

On peut aussi voir à travers ce film, l’évolution d’un réalisateur profond et engagé, d’un artiste éclatant dont l’aura se reflète sur chaque plan virtuose de ses œuvres. Ainsi, Scorsese dira, en mettant en parallèle « Taxi driver » et « A Tombeau ouvert » : « Il y a incontestablement une corrélation avec « Taxi Driver », mais notre héros ne cherche plus à tuer les gens. Il fait au contraire tout son possible pour les sauver. Le monde a changé, nous aussi. Nous avions tous la trentaine (Schrader, De Niro et moi) quand nous avons fait Taxi Driver. » Pour l'anecdote, dans le film, la voix du "dispatcher" (celui qui donne les mission par radio aux ambulanciers), c'est celle de ... Scorsese himself.

Ce que je retiens, au final, de ce très bon film, c’est le trip global que les acteurs et le réalisateur réussissent à nous faire partager, la bande son, excellente, et la phrase de Frank, utile, nécessaire, et vitale :

"Saving someone's life is like falling in love: it's the best drug".

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